Restonica Trail 2015

Il fait 16° lorsque je pose le pied sur le tarmac de l’aérogare de Lille en ce jour de fête nationale Française.
C’est-à-dire exactement moitié moins (!) que l’aéroport d’où je viens, celui de Bastia. La Corse, île où je rêve d’aller depuis bien longtemps. Et lieu aussi, entre autres, de départ du Restonica Trail.

Le Restonica Trail ; 68kms et 5000m de dénivelé positif …
258 participants…
En pleine période de canicule…

Et en mode « accompagnement » de la championne, Ann, qui n’a jamais couru aussi long.

Il est 5h samedi 11 juillet, nous sommes levés depuis juste 1h.
Habituellement je me garde toujours au moins 2h de digestion avant une course mais là, après avoir repéré les 6 premiers kms avec Seb le jour précédent (18.5kms et 1500D+ déjà dans les pattes hier), aucun besoin de se lever aussi tôt, on attaque d’entrée de jeu une grosse côte où on marchera pendant ces 6 premiers kms.

Feux de bengales, musique entraînante, et ola des spectateurs, c’est parti !

Lors de nos précédents duos avec Ann, je faisais office de porteur d’eau, cette fois, chacun son barda ! J’ajoute tout de même dans mon sac une frontale (sans piles lol) – en cas de contrôle – et la caméra pour immortaliser de belles images.
La frontale d’Ann est déjà entre mes mains alors que nous sortons à peine de la ville.. La mienne moisit au fond du sac car je m’imaginais qu’à 5h, il ferait suffisamment clair pour se passer de lumière. Et puis 68kms, bien entendu, on sera rentrés avant la nuit suivante.
Tout cela est purement théorique, et la réalité démontrera que j’avais tort à tous les niveaux !

Nous nous engageons donc dans cette première montée en suivant le train infernal de nos prédécesseurs, train plafonnant à 3km/h environ lol, les petites lumières dans la nuit qui s’achève s’éteignant toutes les unes après les autres rapidement.
Le soleil levant, moment que je préfère sur une course, est magnifique, l’occasion pour moi de faire de jolies vidéos. Je n’ai strictement aucune pression, je n’en suis pas non plus à dire que je vais m’ennuyer aujourd’hui, ce serait vraiment présomptueux, et déplacé, mais je suis en forme en ce moment, et mon objectif principal est de terminer la course pour avoir les points, et ainsi justifier mon droit à participer à la Diagonale des Fous.

Cette vallée du Tavignanu que nous remontons nous emmène à l’arche de Corte (Scandulaghja) puis jusqu’à la bergerie de Padule où un premier ravitaillement nous attend.

217ème au classement.

Nous sommes en queue de peloton ; dans le bas de la montée, on apercevait facilement les 2 serre-files qui fermaient la marche, une cinquantaine de coureurs nous séparant seulement d’eux.
« Ann, il faudra remplir ton camelbak à TOUS les ravitaillements », clamais-je encore le jour précédent…
Contrairement à ce que j’avais crié haut et fort.. Je ne remplis pas mon Camelbak ! Juste ma gourde de « secours » de 500ml avec de l’eau plate qui aura été, sinon indispensable, extrêmement utile..

Le col de Bocca Canaglia est tout proche, puis ensuite, c’est easy jusqu’au second ravitaillement ; descente puis plat.

Je me fais plaisir dans la première descente que je dévale à grandes enjambées, Ann n’est pas loin derrière, nous doublons bon nombre de personnes. Le roulant qui suit est mené par ma coéquipière, trop rapidement selon moi – ce que je ne manquerais pas de lui dire lors du prochain arrêt -. Arrêt juste avant lequel nous nous faisons littéralement déposer par le 1er du 33kms, parti 1h30 après nous !
Il est 8h, nous en sommes exactement à 3h de course, et lui a avalé ces 14kms en 1h30 alors qu’il y a une montée carrément démente en début de course, dingue !
Le second de la course, un gars qui nous semble très jeune (après vérification, il est espoir donc – de 21 ans….), se ravitaille en même temps que nous, lui en 10″, nous en 3 minutes. Ca se joue aussi là une course, mais pour nous la distance est plus importante, et l’objectif « sensiblement » différent.

La descente est superbe ; à ce moment de la journée, j’en suis encore à m’émerveiller de ce spectacle. Ca ne durera pas..

Le refuge de la Sega nous accueille à bras ouverts, toutes cigarettes allumées..
Ceux qui me connaissent un peu savent que je ne supporte pas l’odeur de la cigarette, d’autant plus qu’en pleine forêt, au contact de sportifs, c’est tout de même très malvenu de leur faire profiter de leur « cancer ». Bref, le pôv gars s’est pris une bonne réflexion..

Les parcours du 33 et 68 se séparent ici, 8 concurrents du 33 nous ont doublés, et nous avons effectué 25% du parcours, soit 17kms, en 3h46.

Nous courons dans les bois, au frais. La chaleur de ces derniers jours n’est clairement pas ressentie.
Single-tracks franchement excellents, je dois bien reconnaître que depuis le départ de la course, rien à redire, c’est chouette.

J’indique à Ann à plusieurs reprises qu’on assure bien. La gestion de la course est pour le moment parfaite puisqu’on reprend petit à petit des concurrents.

Plus loin, à l’approche du petit lac de Nino, nous croisons sur un chemin tout proche, juste séparé par le cours d’eau qui chemine depuis ce même lac, les concurrents qui sont déjà repartis du ravitaillement que nous allons bientôt atteindre. 193ème au classement.

Les bénévoles ici sont top, comme chacun de ceux croisés tout au long de cette journée, honnêtement. Rarement j’ai eu cette impression d’ailleurs, ou alors jamais à ce point. Très avenants, très à l’écoute, et toujours à proposer leurs services et aller vers toi pour remplir ta gourde, te proposer à manger ou une aide quelconque.
Manger justement, je m’en mets plein la panse ! Il y a notamment là un fromage de chèvre frais « de 4 jours, spécialement salé pour vous » (je suis allé demander au gars qui semblait avoir fourni ce délice..), du saucisson corse.. etc, etc. Bref, je me gave.

15 minutes plus tard, temps nécessaire selon moi pour recharger les batteries et repartir du bon pied, nous quittons les lieux.
Nous croisons à notre tour les valeureux qui vont parvenir au ravitaillement tant espéré et allons maintenant entrer dans le vif du sujet. Pour reprendre l’expression tirée du site web du Restonica Trail, le « juge de paix de cette course se profile »…

Ok donc là, ça grimpe fort vers le point culminant du GR20, le Bocca Alle Porte. Au-delà de ça, le « problème », c’est que ça grimpe un peu comme on peut ; Il n’y a pas vraiment de chemin, on suit le balisage du GR20 puis on retrouve de temps à autre quelques rubalises de la course.
Je n’aime pas ça, en plus il fait étouffant, je me plains sans cesse, un vrai caliméro.

Tant bien que mal, nous atteignons le sommet. Encore heureux que la vue vaut le déplacement !
9h de course, presque 40kms à nos montres.
2 lacs (Capitellu et Melu) en contrebas, un ravitaillement plus très loin, et des cailloux. Partout des cailloux, pas un seul arbre, pas une seule fleur, rien. Des cailloux. Des foutus cailloux !

La descente vers le ravito est pénible par moments, puis on peut courir un peu, de temps en temps.
Une petite table posée là, mais correctement fournie (notamment un marbré au chocolat Bonne Maman tout simplement délicieux !) et quelques bénévoles s’affairant à replier tout ce qui pouvait s’envoler.
Ce n’est pas du vent dont ils avaient peur mais des pales de l’hélico tout proche qui cherchait un moyen d’hélitreuiller un gars couché ici, bras cassé dans la descente que nous allons aborder ensuite. OK ça annonce la couleur….

La descente est horrible, je peste, j’enrage, je maudis ce pays et ses cailloux.

Depuis le lac de Nino, je déchante et revois totalement mon jugement sur le parcours. Je n’ai pas de plaisir là-dedans.

Et j’en suis à me demander si la barrière horaire fixée à 17h00 au km46 est tout de même jouable… En contradiction totale avec la fanfaronnerie dont j’avais fait preuve dans la matinée avec mes hypothétiques calculs horaires de passage à tel et tel endroit. Selon mes calculs, et en comptant toujours assez large, on était repartis du lac de Nino avec 2h d’avance donc « à l’aise » mais maintenant ?..

Le lac de Melu est longé, quelques baigneurs et randonneurs sont là.
Le tant attendu 46ème km, nous y voilà, c’est Grotelle, c’est la barrière horaire, nous avons 1h00 d’avance dessus.

Je sens bien qu’Ann a souffert (et moi aussi !) du passage de ce col ; on va repartir de là bien entendu mais cela s’annonce difficile.
Un gars prostré sur sa chaise est résigné. Encouragé par les bénévoles, et après avoir lourdement insisté, il se décide à repartir.

Nous aussi, nous repartons après 10 minutes revigorantes.

Quel bonheur de courir sur la route… 200m.. lol
Et c’est reparti. Mais là, on a changé de monde, un petit sentier super sympa où Ann tente de joindre désespérement Seb, avant de parvenir au dernier roc de la course.

800m de dénivelé sur 3kms avant de rejoindre le plateau d’Alzu et son ravito probablement salvateur.

Cette montée est tantôt facile, tantôt difficile, selon qu’on se décide à tirer tout droit ou à suivre les interminables lacets. On alternera les 2 aspects de la chose et surtout, on n’arrivera pas à se dépêtrer de l’incontournable « lourd » de la course qui n’a rien trouvé de mieux à faire, depuis quelques kilomètres, que de nous coller aux basques.

De peur de se perdre apparemment, il se résoud à rester devant ou derrière nous, selon sa volonté de nous pourrir la fin de course définitivement ou non. Et il essaie de nouer le contact ; je sens très rapidement que ça ne va pas le faire, je réponds à peine à ses questions, mais il s’impose toujours, même dans les quelques mots que j’échange avec Ann (!!). Il me gonfle, qu’on se le dise.

La montée avec l’énergumène est galère. 4kms + ou – en 1h15

Nous parvenons au ravito d’Alzu situé plus loin et alors que j’ai mal au ventre depuis la fin de la montée et que je me sens nauséeux juste avant d’arriver là..
Nous arrivons tranquillement, et sans faire de vagues, aux abords des tables dressées pour notre ultime festin alors que le gars que nous venons tout juste de doubler, 20m avant ce même ravito fait une entrée fracassante en s’écroulant de tout son long. HS le gars, malaise.

Vent de panique dans  le bazar, on appelle le médecin (y en a-t-il jamais eu un là ?) et on s’occupe du gaillard qui a eu un sacré coup de chaud.
J’entends un bénévole parler au téléphone, sans doute avec le poste sécurité, en râlant sérieusement. Apparemment, on lui avait indiqué qu’un type en mauvais état avait été récupéré je ne sais où car complètement out.. Sauf que le gars en question, c’était notre gaillard arrivé jusqu’ici, au bout de sa vie probablement, et qui s’était écroulé devant nous..

Que d’aventures, mes amis, que d’aventures..

Pendant ce temps-là, nous, on s’empiffre après nous être avachis chacun sur une chaise judicieusement collée au ravito.

Haut les coeurs, il reste 13 kms. 13kms en descente, ou presque. Youpi, on va le faire… Mais il est déjà tard ! 159ème au classement, 13h49 de course.

On repart pile lorsque nos montres nous indiquent 14:00 de course, il est donc 19h, et on nous a annoncé entre 2h et 2h30 pour regagner la ligne d’arrivée.

Je comprends rapidement qu’Ann n’est pas au mieux. Ses pieds la martyrisent suite à de grosses ampoules (des cloches pour les plus Belges d’entre vous qui me liront) qui ont éclaté.
J’ai envie de dévaler ces supers jolis sentiers très roulants et descendants, mais je ne peux point. Et ce ne sont pas les invitations d’Ann à partir devant qui vont y changer quoi que ce soit. On part ensemble, on arrive ensemble 🙂

Les kilomètres sont effectués au ralenti, entre 12 et 14min alors que dans des conditions normales, ils devraient s’effectuer, au pire, en 6min. Frustrant, mais c’est comme ça.

Notre lourdingue de service est toujours dans les parages, on le rattrape, et de nouveau, il nous file le train.

Un dernier petit ravitaillement perdu dans la forêt, à 7kms de l’arrivée, et nous continuons notre dégringolade dans le classement, des wagons de coureurs nous doublent, je sens Ann à bout. Les quelques mots échangés avec son mari au téléphone me confirment qu’il est temps que ça se termine, ses pieds la faisant énormément souffrir.
Je n’ose plus trop parler, je ne sais plus quoi dire, ni quoi faire. Rajouté à cela que la nuit est bien présente maintenant, il est 21h30, je suis contraint de remettre le nez dans mon sac pour sortir la frontale. Qui l’eût cru ce matin en partant ? Pas moi !

Les rues de Corte sont là, notre énergumène toujours là lui aussi, il se décide enfin à partir devant, et, alors qu’on lui répète au moins 5 fois qu' »il faut monter sur la droite »… « MONTER SUR LA DROOOOOOOOOOOITEEEEE !!!! », il ne comprend pas, il semble totalement déphasé.

Ann marche, nous rejoignons sa petite famille, et abordons les premiers restos de la ville sous des applaudissements TRES nourris. Jamais fait un final comme ça, c’est extra, j’applaudis à mon tour ces anonymes et ma coéquipière qui est allée au bout d’elle-même dans cette aventure. Dernière descente dans les rues, puis c’est la ligne droite jusqu’au bout .. « Ann, il faut courir, il le faut ! »..  Nous franchissons la ligne main dans la main avec sa fille, sous l’ovation des terrasses de restos et cafés qui jalonnent ces derniers mètres. Extraordinaire final !!

A l’arrivée, nous sommes 171 et 172èmes au classement, en 17h03.

Gros points positifs : l’organisation parfaite, les BENEVOLES. A titre personnel, content d’arriver avec de bonnes jambes et avec les points empochés pour La Réunion.

Quelques bémols : la récupération du dossard, pas de photo de la seconde moitié des coureurs, un suivi livetrail qui a bien foiré :/

Trace de notre course

Une réponse à “Restonica Trail 2015”

  1. BRAVISSIMO à tous les deux et, à la lecture du récit, surtout à Ann qui a bien dû souffrir. Quel courage pour aller au bout de soi, ainsi…..
    Je te félicite Stany pour ton récit, encore une fois, qui m’a amené les larmes aux yeux à plusieurs reprises (tu as vraiment des talents de narrateur).
    Bravo pour avoir récupéré ton sésame pour La Réunion.
    Continue de bien te préparer car je crois que « La Diagonale » va être bien difficile…….

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *